16/12/2015
Pour vivre concrètement l'encyclique 'Laudato Si'
D'abord rejeter le flou, "ennemi intérieur " de la pensée catholique en France... et incompatible avec la théologie de l'incarnation ! Réflexions à l'approche de Noël :
Chez certains des Français qui se disent « cathos »*, diluer la pensée dans du flou – même orné d'aristotélo-thomisme – est une vieille tentation. Le vague et le voeu pieux sont un moyen d'éluder le concret.
Par exemple, répéter que « la politique est une forme supérieure de la charité » : ça permet d'oublier comment fonctionne réellement la machine postdémocratique... (les jeunes de Sens commun en ont fait la décevante expérience).
Par exemple aussi : fermer les yeux sur les structures du système néolibéral et sa tyrannie financière, en invoquant le spirituel (« il suffit de convertir les personnes dirigeantes ») et/ou la théorie managériale mensongère (« aujourd'hui l'entreprise est le lieu où chaque individu déploie ses virtualités »)...
Par exemple encore, s'obstiner à dire que « l'agro-industrie globale nourrit les peuples pauvres » ; ou que « la construction européenne garantit la paix ». Ou faire comme si les Etats-Unis étaient le leader culturel du monde chrétien**...
On peut multiplier ces exemples de déni-de-réalité.
Or les réalités sont inséparables de l'incarnation. Nier des réalités au nom de la foi chrétienne, c'est dénaturer la foi en vague « spiritualisme ».
Je fais ce constat à propos d'une autre réflexion. Depuis ces dernières semaines et derniers mois, lors de mes conférences-débats dans les paroisses, deux questions reviennent : 1. que faire pour vivre et communiquer le message de l'encyclique ? ; 2. face à l'immensité des problèmes économiques, écologiques et politiques, comment se libérer du sentiment d'impuissance ?
D'abord en ne se cachant pas « les problèmes » au nom de slogans optimistes et d'une vision fausse de l'espérance... (« cet optimisme est une insulte aux pauvres », dit Bernanos).
La deuxième urgence est de voir le « problème » pour ce qu'il est réellement : apparemment « immense » mais susceptible d'être pris à l'abordage. Dans son discours de juillet 2015 à Santa-Cruz en Bolivie, le pape François appelle tous les peuples, et chacune de leurs communautés, et chaque famille et chaque membre de ces communautés, à devenir les cellules de rapports sociaux rompant avec les formatages du libéralisme. Ainsi naîtront, de proche en proche, des zones économiques libérées. Une « saine pression » (dit Laudato Si') s'exercera sur les dirigeants de la société : ces dirigeants sur la « bonté » desquels il serait « grossier et naïf » de miser a priori, dit Evangelii Gaudium...
Voilà l'enseignement pontifical en 2015 ! Il nous fait jubiler***. Comment vivre Laudato Si' dans notre existence de tous les jours ? Comment traduire en orientations pratiques et quotidiennes le surcroît de la Justice divine ? Pensons-y à l'approche de la Nativité du Seigneur, fête du Surnaturel très mystérieusement à l'oeuvre en notre propre nature. Je vous propose ce texte tiré du livre de Vladimir Volkoff Chroniques angéliques. C'est une élévation à partir de l'épisode du vieillard Syméon au Temple (Luc 2, 22-38) : le romancier entre en résonance avec ce que Hans Urs von Balthasar appelle la dramatique divine.
L'enfant lui parut plus lourd que s'il avait été en or.
Il pesait davantage qu'Israël et les païens réunis,
davantage que la terre et que tous les astres.
Mais son poids était fait de lumière.
Que de choses il construirait, que de choses il détruirait,
lui qui était la Pierre d'Achoppement
et le Signe de la Contradiction !
Comment cette jeune fille,
se demanda Syméon avec révérence,
a-t-elle porté ce poids dans son ventre ?
Que le Fils Incarné nous délivre du flou !
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* « Catho » ? ce diminutif (disait récemment le curé d'une paroisse parisienne) est symptomatique. Il donne une allure niaise et partiale au mot « catholiques », qui, lui, est très fort puisqu'il veut dire « tenants de la totalité ».
** D'où cette absurde et récente habitude de « cathos » français : donner à leurs initiatives pastorales des noms américains. Church party, Hack my church, Bless my soul, Light my prayer, etc : comme si Garches ou Fourvières étaient dans l'Iowa. Et comme si le catholicisme de la bourgeoisie française était une annexe de l'acculturation transatlantique.
*** ...même s'il rend nerveux certains de nos amis : dépendre d'intérêts financiers hostiles donne mauvaise conscience (j'en ai fait l'expérience il y a trente ans).
10:50 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : pape françois
Commentaires
Cher PP,
> Je suis en pleine lecture du dernier livre de Philippe de Villiers. Je lisais hier soir son chapitre sur Cohn-Bendit. Comme ce qu'il a écrit entre en consonance avec ce que vous dites !
J'espère que ce livre, assez diffusé en particulier dans certains milieux, ouvrira des yeux et des oreilles !
Bien amicalement,
Pema
[ PP à Pema - De tout autre que vous j'aurais du mal à le croire, connaissant PV de longue date ! Il faudra que je regarde son livre... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Pema / | 16/12/2015
L'INCARNATION
> L’homme semble incapable de tirer les conséquences concrètes de l’incarnation. Il tourne sans arrêt autour du pot et ne veut pas écouter ce que, justement celui qui s’est incarné lui dit (c’était le sens en fait de mon précédent message dans une autre rubrique et que vous n’avez pas plublié, ce que je comprends d’ailleurs, car assez délicat et pouvant être interprété comme étant iconoclaste, sa première partie étant apparemment hors sujet).
On ne s’en tirera pas sans une intervention, à nouveau directe, de l’auteur de la création lui-même. Ce qui n’autorise en aucune manière à être paresseux et à ne rien faire. Par orgueil l’homme a brûlé les étapes en consommant tout de suite « l’arbre de la connaissance du bien et du mal », il lui fallait d’abord manger « l’arbre de la Vie » qui pourtant lui aussi était à sa disposition (mais il a voulu être « chef » avant d’en assimiler les pré-requis). Conséquence, l’homme est devenu instable et dangereux pour la création elle-même, il n’était plus question de le « figer » dans cet état, auissi l’accès à l’arbre de la Vie lui a-t’il immédiatement été interdit. Pour remettre les choses en ordre, DIEU ne pouvait plus compter que sur lui-même, d’où l’incarnation. C’est fou la grandeur de notre DIEU.
La sortie de cette situation, l’accès à « l’arbre de la Vie » donc, est pourtant programmée dans l’échéancier de la providence, mais rien à faire, il semble qu’il faille que le flou demeure, car, force est de constater que sous l’angle pratique, on n’y comprend sur comment va-t’elle surgir cette « civilisation de l’amour» dont il est question dans la doctrine sociale de l’Elgise ? Heureusement que pour l’incarnation ce n’était pas aussi flou, c’était pour ce qui concerne l’irruption du Verbe dans notre mondre, plutôt tout ce qu’il y a de concret et de charnet avec une identité très forte.
On pourra toujours discuter indéfiniment, on n’échappera pas aur réel.
Patience, wait and see.
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Écrit par : jean / | 16/12/2015
RÊVE
> "...jeune bourgeoisie paroissienne" : j'ajouterai, qui ne rêve que d'une chose c'est d’intégrer les business schools ou ils apprendront, pour certain, à spéculer sur les marchés...des matières premières agricoles...
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Écrit par : Tangui / | 16/12/2015
GO
> "Ainsi naîtront, de proche en proche, des zones économiques libérées. Une « saine pression » (dit Laudato Si') s'exercera sur les dirigeants de la société : ces dirigeants sur la « bonté » desquels il serait « grossier et naïf » de miser a priori, dit Evangelii Gaudium..."
D'une certaine façon : cesser d'essayer de jouer aux échecs, et apprendre le go ?
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Écrit par : Feld / | 16/12/2015
LES DEUX AXES
> Vous abordez un thème vraiment central, insuffisamment traité aussi quelle joie de vous lire.
Votre réflexion me fait immanquablement penser à un texte du Père François Euvé sur la pensée de Pierre Teilhard de Chardin, où il rappelait que «…le jésuite a toute sa vie regretté que le christianisme ait de tout temps tenté de “se dégager de l’humanité”. Pour cette raison, le philosophe a toujours soutenu l’action concrète dans le monde, aussi bien à travers l’engagement social que le progrès technique et scientifique ». J’ai pu retrouver le texte ici :
https://www.cath.ch/newsf/teilhard-de-chardin-pour-reconcilier-spiritualite-et-evolution/
S’il y eut le fameux «Monitum del Sant’Ufficio contro Teilhard de Chardin», ce dernier a été cité à la fois par Benoit XVI dans « Lumière du Monde » et par François dans « Laudato si » justement (§83) (*). J’imagine donc que l’on peut l’évoquer sans avoir besoin de se signer trois fois.
Vous avez raison d’insister sur l’impasse d’opposer les deux natures, alors qu’elles sont toutes deux complémentaires et qu’il nous faut faire fructifier les deux. Je n’arrive pas à me représenter cette nécessaire progression de chacune autrement que comme un cheminement dans un repère orthonormé, un axe étant le spirituel et l’autre le monde. L’un est infini, dans une compréhension et un rapprochement vers Dieu qui mettrait l’éternité (les 7 cercles ?), et l’autre borné. Mais si notre courte vie terrestre peut paraitre dérisoire – n divisé par l’infini donnant 0 -, elle est pourtant cruciale car c’est le temps du choix libre et d’une préservation de la création. Et même certains considèrent une co-création…
Dieu nous aurait envoyé Benoit XVI pour creuser un axe, et François un autre ? Malgré la fureur des uns ne faut-il pas voir leur complémentarité ?
Probablement c’est ce que veut dire aussi Nicolas dans son souci de ne pas opposer les encycliques (pardon si je vous ai mal compris).
Enfin difficile de faire abstraction de cette autre intuition géniale figurée par le combat entre l’École éléate et ionienne, Parménide et Héraclite, l’un et le multiple, l’éternel et l’éphémère qui pourrait se calquer sur les deux axes que j’évoquais.
Votre action au travers de votre blog et de votre cycle de conférence est clairement juste et dans le bon sens selon l'axe de ce monde, que Dieu vous aide et vous bénisse.
* A la grande fureur d’Yves Daoudal, qui en sus ne voit rien d’évident dans les mécanismes de l’évolution (sic). Pour beaucoup schématiser et avec un brin de plaisanterie, les tradis ne seraient-ils pas un peu trop sur l’axe spirituel et les cathos progressistes sur celui du monde ? Quant aux libéraux-libertaires ils tournent autour du zéro du repère.
P.S : tradis, cathos sont des termes plutôt affectueux, une façon de s’appeler entre nous. Avec quelque autodérision il est vrai c’est peut-être ce qui chagrine ce curé d’une paroisse parisienne.
JClaude
[ PP à JClaude - Je comprends que l'on soit soucieux de ne pas opposer les encycliques, mais je souligne qu'il n'est pas question ici d'opposer quoi que ce soit ! Au contraire : ce blog insiste depuis dix ans sur le "et... et" catholique (antidote au "ou bien... ou bien" qui dialectise tout.
Je rappelle aussi que je suis l'auteur d'un livre publié en 2005 pour saluer l'élection de Benoît XVI ! Dès le début nous soutenions ici que le pontificat de Benoît ne serait pas ce que les culs-de-plomb en attendaient ; contrairement à eux aujourd'hui, je soutiens que le pontificat de François est un fruit du précédent, en profonde cohérence avec les lignes de force ratzingériennes... Idée que la gauche et la droite refusent d'admettre ; mais qu'avons-nous à faire de la gauche et de la droite ? ]
réponse au commentaire
Écrit par : JClaude / | 17/12/2015
STRUCTURES
> "fermer les yeux sur les structures du système néolibéral"
Ils oublient le Magistère : un saint Jean Paul II dans son enseignement dénonçait justement les "structures du péché" !
Gégé
[ PP à G. :
Vous avez raison de le rappeler, merci. C'est salubre, dans la mesure où il y a un point aveugle (à guérir) dans la conscience de catholiques encore prisonniers de l'idéologie libérale : ils s'obstinent à croire depuis cinquante ans que s'en prendre aux structures est une hérésie "progressiste" installée au détriment de la conversion des personnes. En réalité les deux vont de pair : tout est lié, comme dit le pape François.
Et s'ils refusent toute critique des structures, c'est que leur idéologie économique fait qu'ils approuvent ces structures ! (Cf les profs d'économie "catholiques" qui contredisent froidement les papes jusque dans 'La Croix'...).
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Écrit par : Gégé / | 17/12/2015
à Nicolas
> YD n'était vraiment pas comme ça - quasi-sédévacantiste - à l'époque (lointaine) où nous allions dans la Pologne en état de siège avec l'association 'St Benoît patron de l'Europe'.
C'est dommage...
Je suis en désaccord radical avec ce qu'il dit de l'Eglise en 2015.
Mais il faut reconnaître à YD le mérite de la franchise, contrairement aux sites libéraux-conservateurs qui citent ses passages les moins sulfureux et indiquent toujours le lien permanent... pour que leurs lecteurs lisent aussi les pasages bergogliophobes où YD dit tout haut ce que ces sites pensent en coulisses (mais n'osent pas exprimer publiquement - leur espace commercial étant un certain milieu "papiste") !
YD a tort mais dit ce qu'il pense, et l'assume. Alors que les sites "libéraux-conservateurs cathos" sont trompeurs et hypocrites : leurs manipulateurs opèrent masqués.
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Écrit par : PP / | 18/12/2015
HADJDAJ
> Je viens de finir "L'aubaine d'être né en ce temps", de Fabrice Hadjadj :
http://www.editions-emmanuel.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=424
60 pages (que j'ai trouvées) extraordinaires, qui se lisent très facilement, tout en étant monstrueusement denses. Toutes les problématiques qui nous intéressent mises en perspective de façon très simple...mais (ou plutôt "et") avec une intelligence qui dépasse l'entendement...si je peux m'exprimer ainsi.
A lire absolument !
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Écrit par : Feld / | 22/12/2015
RÉVOLUTIONNAIRE
> Je viens de terminer de lire l'encyclique : Révolutionnaire !
Je me dois maintenant de la faire connaitre à tout mon entourage "catho ouest Paris"...
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Écrit par : Tangui / | 22/12/2015
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